dimanche 29 octobre 2017

Révélation d'un complot nord-coréen, poulpes de 15 mètres et changement climatique

*Alerte : la Corée du Nord empoisonnerait l'atmosphère pour détruire le climat américain*

George Marshall – 28 septembre 2014 @ 8:10 pm

Traduction d'un article du blog de George Marshal, https://climatedenial.org/2014/09/28/breaking-news-north-korea-poisoning-atmosphere-to-destroy-american-weather/

Les chefs d'Etat du monde entier se réunissent aujourd'hui à l'ONU à New York et seront fortement poussés à agir. La découverte du complot nord-coréen visant à pomper en secret des produits chimiques modifiant le climat dans l'atmosphère, dans le but de détruire la production agricole de l'ensemble des Etats-Unis a déclenché une crise internationale.

Une photographie récente prise par un drone révèle l'ampleur du projet secret nord-coréen de déstabilisation de l'équilibre climatique mondial.

Evidemment, ce n'est pas vrai. Un sommet a effectivement lieu aujourd'hui à l'ONU, à la demande du secrétaire général Ban Ki-Moon, pour évoquer les graves perturbations climatiques actuelles. Des perturbations qui pourraient en effet mener à l'effondrement de nombre de régions agricoles de la planète. Mais puisque ces perturbations sont juste le fait de ce bon vieux – et ennuyeux – réchauffement climatique, un sujet que la majorité de l'opinion trouve moins intéressant qu'observer de la peinture en train de sécher, les politiciens de l'ONU n'ont pas à s'inquiéter trop d'en être tenus responsables.

Donc pourquoi sommes-nous si sûrs que le scénario nord-coréen provoquerait une rapide mobilisation politique, alors que l'énorme menace qui pèse réellement sur nous ne produit toujours que de fausses promesses ? Pourquoi le premier scénario nous donne-t-il des palpitations, alors que le second entraîne une vaste indifférence ? Ceci pose une question plus large, au sujet de notre propre psychologie : pourquoi la plupart des gens comprennent-ils que le changement climatique est une menace grave et cependant, lorsqu'on leur demande de faire la liste des plus grands dangers menaçant la civilisation, semblent ne jamais penser à celui-là ?

La première raison à cela est que notre sens inné de la compétition sociale nous a rendus très attentifs à toute menace causée par des ennemis extérieurs. Dans des expériences, on a montré que des enfants d'à peine trois ans pouvaient faire la différence entre un accident et une violence délibérée. Le changement climatique perturbe cette règle fondamentale : il s'agit d'un crime parfait et indétectable auquel tout le monde contribue mais pour lequel personne n'a de mobile.

Il n'y a pas d'ennemi extérieur à blâmer. Nous nous contentons de vivre notre vie quotidienne : emmener les enfants à l'école, allumer le chauffage chez nous, acheter et faire à manger. C'est seulement lorsque nous acceptons que le changement climatique est une menace que ces gestes apparemment neutres nous apparaissent empoisonnés par des mauvaises intentions – donc nous rejetons rapidement cette idée, ou alors nous y réagissons avec colère et protestation.

Pire encore, le changement climatique possède une combinaison d'autres caractéristiques qui le rendent très difficile à traiter par notre cerveau : il nécessite des sacrifices personnels immédiats pour éviter des pertes collectives dans un futur lointain. Le psychologique cognitiviste Daniel Kahneman, qui a obtenu un prix Nobel pour ses études des réactions irrationnelles que nous avons à ces questions environnementales, a poussé un grand soupir lorsque je lui ai demandé quelles étaient nos chances de nous en sortir : « Désolé, a-t-il dit, je suis très pessimiste, je ne vois aucun moyen pour que nous y arrivions. »

Je serais du même avis que lui si le changement climatique était effectivement incertain, d'un coût totalement faramineux et situé dans un futur lointain. Il peut sembler en être ainsi, si c'est comme ça que vous êtes décidé à le voir. Cependant, de nombreux économistes, tels que Nicholas Stern et Hank Paulson, l'ancien ministre des Finances (Treasury Secretary) de George W. Bush, voient les choses différemment. De même pour les 310 000 manifestants qui ont occupé des quartiers entiers de Manhattan, et les dizaines de milliers d'autres qui étaient rassemblés dimanche à Londres pour crier avec conviction que le changement climatique est bien réel, qu'il se produit en ce moment et qu'il est tout à fait possible d'agir. Pour eux, le véritable obstacle (mis en scène de façon mémorable lors de la manifestation de New York par une pieuvre de quinze mètres de long) est l'industrie du pétrole et du gaz et les tentacules de ses réseaux d'influence politique.

Et c'est là que réside le vrai défi. Le changement climatique peut être tout ce que vous voulez qu'il soit. Il peut être ici ou là, dans le présent ou le futur, certain et incertain. Il semble que nous voyions le changement climatique comme une menace – et que nous soyons capables de réagir avec autant de force que contre un ennemi extérieur – seulement lorsqu'on le coule dans le moule de nos récits familiers, avec leurs bons et leurs méchants.

(Source : blog de George Marshal, https://climatedenial.org/2014/09/28/breaking-news-north-korea-poisoning-atmosphere-to-destroy-american-weather/)

lundi 14 novembre 2016

Le photographe #6 : Réfugiés

Le camp de réfugiés d'[...]. Six mille personnes sur un terrain prévu pour deux à trois mille. Un patchwork de préfabriqués, de tentes et de sentiers de poussière brune, ceint d'une clôture barbelée. L'emplacement était autrefois celui d'un camp militaire, démoli à la chute du rideau de fer dans les années 1990. Proche de la frontière, desservi par une série d'anciennes routes de surveillance, entouré de champs, il présentait l'intérêt d'être à la fois accessible et discret.

Le chauffeur trouva une place à l'ombre d'un bouquet d'arbres, je descendis et m'approchai du baraquement temporaire où poireautaient cinq ou six soldats. La carte de presse les rassura, ils me laissèrent passer à condition de rester à une distance raisonnable du grillage. Puis ils me jetèrent à peine un regard, peu gênés par ma présence. Au contraire : prenez des photos, parlez d'eux, faites en sorte que ça bouge.

Je les comprenais : la Grèce, parent mythique mais parent pauvre de l'Europe, recevait en plein visage les vagues de réfugiés [...], pendant que les grandes puissances de l'Ouest du continent contemplaient le bout de leurs chaussures. Des centaines, puis des milliers de familles, miséreux ou citoyens aisés dépouillés par la guerre, par les bombes d'Assad et les massacres de l’État islamique. Une guerre voulue par les grands de ce monde, à des milliers de kilomètres des préoccupations de l’État hellénique déjà gravement paupérisé, dont il devait aujourd'hui essuyer les assauts collatéraux.

J'étais maintenant à quelques pas de la clôture haute de trois mètres. L'ensemble pouvait évoquer un chantier de construction à l'arrêt, avec ses baraquements, ses chemins ne menant nulle part et ses ouvriers désœuvrés, assis n'importe où.

[...] Et le silence.

L'immobilité totale. La sensation d'attente. Une attente au-delà du cours normal du temps. Plutôt une sorte d'hypnose collective, dans laquelle l'écoulement des choses, des événements, le mouvement naturel des hommes s'était interrompu. L'impression qu'en contemplant ces visages – que je photographiais à tour de rôle, en saluant d'un signe de tête ici, d'un salam aleikum là-bas – j'allais m'engluer dans une toile épaisse de vacuité.

Seuls étrangers à cette fixité presque complète, les bébés, qui hurlaient. Appels primaux déchirants. Petits cris terribles, de faim, de peur, de soif, d'inconfort, qui résonnaient dans le vide comme la sonnerie d'un téléphone oublié au fond des bureaux d'une administration publique.

Mais les sons, aussi intenses fussent-ils, ne pouvaient pas être captés par mon appareil. Aussi je tentai de saisir cette sensation d'une masse épuisée et d'individus lâchés hors du temps. Les visages vides et figés, vivants seulement par la respiration et le clignement des paupières. Sur ces visages, mettre en valeur et en lumière, dans quelques mégabits de données, les indices d'un caractère et d'une vie passée. Une vie passée qui avait été balayée en quelques semaines, sans que ces malheureux aient le temps de réaliser ce qui leur était arrivé.

Camp de réfugiés du Darfour, au Tchad

dimanche 6 novembre 2016

Le photographe #5 : Grèce

Je passai en revue le contenu des sacs, avec la maniaquerie de chirurgien qui me caractérisait lors d'un départ en voyage. Tout était bon. Mais il était deux heures du matin. Inutile de songer à dormir, ou en tout cas, d'un sommeil naturel. Je sortis le rhum, lançai un polar sinistre déjà vu quatre fois, avec Denzel Washington en enquêteur tourmenté, et les pieds appuyés sur le sac de voyage entrouvert, me laissai absorber dans la boue délicieuse d'un sommeil aviné.


* * *

Une hôtesse me réveilla en me heurtant le genou avec le chariot des boissons. Elle avançait à vive allure, sans se laisser distraire ni émouvoir. L'Airbus vira sur une aile : la Méditerranée d'un bleu profond, lisse et uniforme comme une piscine en plastique. Les montagnes et collines de ce littoral découpé et haché, semblables d'ici à des mottes de sable mouillé. Le semis des étendues urbaines, scories ou cendres jetées sur le sol puis vaguement alignées au râteau en des contours ordonnés.

L'hôtel était propre et sans saveur. Je passai l'après-midi au téléphone et devant l'ordinateur. Le lendemain, croisant en les bousculant presque une famille de quatre qui s'imaginait débuter ici le voyage de ses rêves, je fonçai vers un taxi, qui m'emmena à la gare routière. Sept heures de trajet climatisé dans des collines poussiéreuses. Nouveau taxi, auprès de qui il fallut argumenter en ajoutant un gros supplément. Avec celui-ci, un jeune taciturne qui se rongeait les ongles et me surveillait du coin de l’œil, je fis encore une grosse heure de route, tantôt correcte, tantôt craquelée comme aux portes du désert.

La Mazda gravit un raidillon, prit un virage sec en descente, et là je le vis...

lundi 24 octobre 2016

"Le photographe" #4 : Shooting

- Stop !

Tels de vrais acteurs de théâtre en pleine répétition, les membres de l'équipe de tournage – comédiens honteux, techniciens las et arrogants – s'étaient figés dans leur élan, puis détendus, avant d'arpenter la scène couverte de moquette pailletée, devant l'immense écran bleu arborant le logo à la flèche argentée.

La brune longiligne au faux air d'artiste que tout le monde appelait Adeline avait d'abord gratifié l'assemblée d'un sourire circulaire, sourire qui s'était ensuite crispé, avant qu'elle envoie, tranchante comme une serpe :

- Comment vous le dire clairement ?... C'est nul ! On reprend, on oublie. On reprend tout !

Maxime, le géant blond aux regard embrumé qui se chargeait de la deuxième caméra, me fit une grimace : quelle bande de clowns. Je lui rendis son sourire, secouai la tête et continuai à arpenter la scène de la salle de conférences, en mitraillant ici et là. Après tout, j'étais juste photographe, la qualité de la mise en scène ne changeait rien à mon boulot. La plupart des membres de l'équipe transpirait pour tourner avec succès un film promotionnel à usage interne.

On attendait de moi que je saisisse sur le vif le « naturel » des employés modèles du groupe qui nous embauchait. En réalité, ces jeunes gens et jeunes femmes à la beauté juste-ce-qu'il-faut-imparfaite étaient des intérimaires, qui n'avaient jamais travaillé de leur vie dans l’ingénierie automobile. Mais personne ne s'en plaindrait ; avec un peu de chance, le moral de l'entreprise en sortirait renforcé.

C'étaient des remplaçants, des ersatz plus réalistes que nature, qui assuraient ainsi leur ordinaire en attendant des jours meilleurs. Comme moi, en somme. [...]


vendredi 21 octobre 2016

"Le photographe" #3 : Questions

La femme avait les yeux cernés mais d'un très joli bleu. Blonde, vêtue d'un polo blanc, elle parlait sans arrêt tout en feuilletant des documents. Elle me souriait beaucoup, néanmoins je la soupçonnais de cacher sous cette bonne humeur un ennui manifeste, ainsi qu'autre chose que je ne pouvais pas identifier.

- Vous savez, nous voulons surtout pouvoir prouver à votre maman que votre frère est en sécurité. Visiblement elle est très inquiète et c'est aussi notre boulot, de rassurer les mères des jeunes gens... Mais nous sommes sûrs qu'il va bien.

Nouveau sourire.

- Le plus simple serait qu'on lui parle. Où est-il joignable ? Avez-vous un numéro, une adresse ? Des noms d'amis qu'il voit souvent ?

Froissement de papiers.

- Une association, je veux dire, peut-être un club sportif ou... autre chose ?
- Il ne faisait pas de sport. Je veux dire, il ne fait pas de sport.
- Et qu'est-ce qu'il fait ? avait-elle répliqué du tac au tac, sans cesser de sourire.
- Il est..., commençai-je, sentant ma voix trembler, bizarrement, alors que je ne ressentais rien de spécial.